Weaver Quintet
CHORÉGRAPHIE — 2017

Weaver Quintet

Chorégraphie: Alexandre Roccoli
Conseiller en dramaturgie: Florian Gaité
Danseuses : Daphné Koutsafti, Juliette Morel, Véra Gobatcheva
Musique Live : Deena Abdelwahed
Création Lumière : Rima Benbrahim
Régie générale : Hugo Frison
Ingénieur Son: Benoist Bouvot
Professeures invitées : Rita Quaglia et Anne martin
Costumes: Goran Pejkoski

Production A Short Term Effect.
Coproduction A-CDC (Association des CDC) : Art danse - CDC Dijon Bourgogne-Franche-Comté, CDC Atelier de Paris-
Carolyn Carlson, La Briqueterie - CDC du Val-de-Marne, Le Cuvier - CDC de Nouvelle-Aquitaine, L’échangeur - CDC
Hauts-de-France, Le Gymnase | CDC Roubaix - Hauts-de-France, CDC Les Hivernales - Avignon, le Pacifique | CDC -
Grenoble, Pôle Sud - CDC Strasbourg, CDC Toulouse/Occitanie, CDC Uzès danse.
Coproduction et résidence: Les Subsistances 16/17.

FILMS Montage Jéremy Perrin, Simon Krahl / Voix Andréa Carlino, Luigi Chiriatti / Danse et musique Malika Djardi, Benoist Este/ Les soyeuses Mesdames Debaux et Laterza / Production Nuovi Mecenati Roma, CCN de Caen.

La compagnie A Short Term Effect est subventionnée par la Drac Auvergne-Rhône-Alpes et la région Auvergne-Rhône-Alpes, et par la Spedidam, la Ville de Lyon et l’Institut Français pour certains projets.

— SoundCloud Deena Abdelwahed
Pensé dans le prolongement des pièces Empty picture (2013) et Longing (2014), le projet Weaver initié en 2015 s’articule à la question de la mémoire des gestes ouvriers et du monde paysan. Il s’inspire des traditions tisserandes (entre l’Italie, le Maroc et la France) autant que du folklore rural lié au tarentisme (un trouble nerveux qu’on attribuait à une piqûre d’araignée) pour chercher à en « repriser » les récits culturels — à les reprendre comme on les répare. Conçu à la suite des rencontres avec des ouvrières aujourd’hui malades d’Alzheimer, Weaver confronte deux images de la mémoire blessée: d’une part, le tarentisme devenu danse folklorique (la « tarantella ») se fige dans une représentation édulcorée, qui en altère le souvenir, quand d’autre part, les troubles mnésiques irrémédiables que produit la maladie empêchent la transmission d’un patrimoine gestuel.

De son sens concret à ses évocations abstraites, il s’agit alors de prendre l’image du tissage pour un nœud polysémique par lequel tresser ces différents récits. De la métaphore du fil de la vie tissé par les Moires à celle du tissu cérébral, siège de la mémoire, du motif du métier à tisser à celui de la toile des araignées tarentules, Weaver entrelace histoires personnelles et récits collectifs, légendes du passé et témoignages d’aujourd’hui, pour sceller entre eux une communauté de destin. Porté par une nostalgie certaine, un remords éprouvé face à la dissolution de ces gestes dans l’oubli, le projet leur offre l’occasion d’une survivance, d’une réinscription des archaïsmes dans les imaginaires collectifs.

Weaver a d’abord pris la forme d’une installation multimédia (son, image vidéo et performance) modulable et réalisée in situ (Weaver raver, 2015). Cette dernière repose sur un principe de réitération, faisant alterner paroles de soyeuses diffusées en boucle, images syncopées des gestes artisanaux et chorégraphies compulsives. Présentée pour la première fois en juin 2017, lors du festival June Events, sa forme dansée, Weaver quintet réunit un quintette composé de trois interprètes (Véra Gorbatcheva, Daphné Koutsafti, Juliette Morel), d’une compositrice (Deena Abdelwahed) et d’une scénographe-lumière (Rima Ben Brahim).

Ensemble, elle forme une communauté féminine, secrète et soudée, une sororité liée par un destin commun. Alternant les séquences entre rituel de passage ou d’initiation, séances de pleureuses, d’hystérie collective, voire de culte à Mystères, Weaver quintet se déroule dans une ambiance magique et lunaire. La danse se tisse à vue et s'écrit de façon entrelacée, ménageant des scènes d’hallucinations collectives, de rites sociaux et de crise de folie individuelle. Elles se nouent ainsi les unes aux autres dans une tresse chorégraphique à cinq brins, où chaque corps devient une fabrique à part entière qui prolonge le mouvement d'un autre. Ce corps humain et collectif emprunte les formes au bestiaire du tarentisme, tel que décrit dans le Sud de l’Italie d’où il est originaire (araignée, basilique, serpent, scorpion…).

La musique est jouée en live à partir de matériaux sonores puisés dans la lutherie du métier à tisser (son cordage et sa boiserie), au cœur d'une musique mixte, à la fois instrumentale, vocale et électro-acoustique. Elle privilégie elle aussi la forme répétitive : des boucles, scansions et beats répétés aux variations électroniques à base de polyrythmies syncopées, intégrant chants du Salento, tarentelles de Chopin et lamentos de la terra del rimorso.

Le dispositif scénique définit un espace de libre expression pour ces gestes artisanaux en passe d'être perdus, dont la densité compulsive des corps amplifie la force d'évocation. Telle une chorégraphie du regard, qui occulte, zoome et dissèque, Weaver rend visible les histoires secrètes de ces mouvements artisanaux, logés dans la mémoire cachée des corps. La pièce s'envisage alors comme un acte libérateur, dévoilant autant les assujettissements de ces corps à la technique ou à la maladie que leurs conditions d' émancipation par la danse. La confrontation entre les répétitions du geste artisanal, de la pathologie et de la danse crée l’effet d’un redoublement réparateur, d’une remédiation des unes par les autres. Entendant cicatriser ces mémoires blessées en recouvrant ces histoires perdues, Weaver se pose comme un dispositif de conservation moins documentaire qu’affecté, ouvrant la voie à une possible résilience.

Florian Gaité